Gruppetto ou l’apprentissage de la musique par le collectif

Le lundi, le mercredi et le jeudi au conservatoire de Blagnac, c’est devenu une habitude, on assiste à une chorégraphie bien réglée dans les couloirs : des grappes d’élèves se faufilent d’une salle à l’autre, au gré de leurs séquences de cours, violoncelle ou cornet vissé sur le dos, regard parfois un peu perdu, « le tutti c’est quelle salle déjà ? ». Ce sont les gruppettistes qui envahissent pour deux heures les espaces, s’appropriant ce nouvel environnement. Céline Schulz, directrice du Conservatoire Musique et Danse Résonance de Blagnac nous raconte.

Gruppetto est un dispositif d’apprentissage global de la musique, par l’orchestre. Entre 15 et 20 enfants le composent, encadrés par un collectif de quatre ou cinq enseignants. Déployé depuis trois ans au conservatoire, il arrive aujourd’hui à un niveau de maturité qui permet d’envisager des évolutions, principalement dans la forme.

Le contexte

Blagnac est une commune située au nord-ouest de Toulouse qui compte plus de 26000 habitants et qui profite d’un fort dynamisme économique (de nombreuses entreprises aéronautiques sont implantées sur son territoire) et de nombreux acteurs culturels (Odyssud Spectacles, compagnies de danse, de musique et de théâtre en résidence permanente, une médiathèque et une ludothèque, un cinéma, etc.).

Près de 1000 élèves sont inscrits chaque année au conservatoire, ce dernier se structure autour de deux domaines : la musique et la danse.

Depuis environ six ans, une réflexion en profondeur a été amorcée pour faire évoluer le conservatoire pour un plus grand accès des publics et une ouverture tant au niveau de la pédagogie que des disciplines enseignées.

La rédaction du nouveau projet d’établissement 2021-2026, amorcé en mars 2019, ainsi que l’aménagement dans un nouvel équipement en mars 2022, ont été des accélérateurs et ont permis la mise en œuvre de projets innovants et résolument modernes.

Et les pianistes !

Avant d’aller plus loin dans la description, voici le témoignage d’un des professeurs de piano, Gérard Poncin, présent dès les débuts du dispositif :

« En tant que professeur de piano, j’ai eu la chance de participer au dispositif Gruppetto,  une expérience musicale unique pour les enfants débutants. Pendant trois ans, nos petits pianistes se sont réunis chaque semaine pour des cours de piano en groupe, des sessions d’orchestre et des leçons de formation musicale.

Les cours en petit groupe ont favorisé la collaboration et la confiance en soi, tandis que la pratique en orchestre a développé leurs compétences d’écoute et de coopération. La formation musicale a renforcé leur compréhension de la musique dans son ensemble.

Ce dispositif équilibré a permis aux enfants de progresser de manière significative tout en maintenant un équilibre entre leur vie scolaire et d’autres activités. Gruppetto a été une expérience enrichissante pour les élèves et pour moi en tant qu’enseignant, renforçant notre communauté musicale et leur passion pour la musique. »

La genèse

La phase de diagnostic qui a précédé l’élaboration du projet d’établissement, a permis de soulever plusieurs problématiques et axes d’amélioration quant à l’apprentissage musical, et notamment :

  • Le peu de lien que l’élève fait entre ses différents rendez-vous hebdomadaires (formation musicale théorique avec ou sans présence de l’instrument, cours d’instrument, pratique collective à partir d’un certain niveau) et ses difficultés à appliquer à l’instrument ses apprentissages théoriques
  • La difficulté pour les plus jeunes, qui sont dans la période d’initiation et souvent de découverte de plusieurs activités, qu’elles soient artistiques ou sportives, ainsi que pour leur famille d’honorer autant de rendez-vous au conservatoire chaque semaine (deux à trois en moyenne)
  • Une vision très cloisonnée du parcours du musicien, sans co-construction des référentiels par l’équipe des enseignants

Nous avons ainsi décidé de travailler avec l’équipe sur un dispositif d’apprentissage par l’orchestre, qui permettrait de répondre à une partie des problématiques soulevées.

Il existe sur le territoire national de nombreux dispositifs qui sont venus nourrir la réflexion et dont Gruppetto s’est librement inspiré :

  • Orchestre à l’Ecole
  • Démos (un orchestre est présent sur la métropole toulousaine)
  • L’Enseignement Par l’Orchestre à Villeurbanne
  • Etc.

Les enjeux ont été posés : Comment le conservatoire pourrait globaliser la formation musicale de l’enfant, comment il pourrait articuler toutes les composantes afin de faire sens pour l’élève et comment l’organisation respecterait davantage la disponibilité des familles ?

Nous allons voir de quelle manière ce projet a été construit, et comment il se structure. Nous verrons dans un second temps les impacts que le dispositif a eu sur les équipes, l’établissement et le public avant d’aborder les limites et les évolutions à apporter après 3 ans d’expérience.

La méthode retenue

Le calendrier a été le suivant : l’année scolaire 2019-2020 a été une année de co-construction avec les enseignants et de parangonnage. Le dispositif a été mis en œuvre dès l’année scolaire 2020-2021 avec les enseignants volontaires, il s’est ensuite déployé et est toujours à l’œuvre ce jour.

Quatre réunions ont été nécessaires pour façonner le dispositif. Une première réunion a été proposée en novembre 2019. Sur la base du volontariat, 9 enseignants ont découvert la modélisation proposée par la direction.

Cinq enseignants ont été volontaires pour continuer le travail et s’engager dans cette expérimentation.

La réunion de février 2020 a permis de dégager, avec le groupe projet, les objectifs prioritaires, les modalités d’admission et l’articulation avec le parcours dissocié (cours de FM + cours d’instrument + cours de pratique collective), la question de la concertation entre enseignants, les contenus prévisionnels et l’accompagnement qui serait nécessaire, par la formation des professeurs notamment.

La réunion de mai 2020 a eu pour objectif de préciser les éléments de la réunion précédente, comme la communication avec les familles qui serait essentielle, l’organisation des tutti (nous verrons un peu après la modélisation précise du dispositif), le répertoire pressenti et la projection de la première séance (entrée en musique, rencontre avec les parents, remise des instruments etc.).

Suite au besoin en formation exprimé, une première rencontre avec la responsable du dispositif Play Music1 du CRR de Toulouse a été organisée en juin 2020. Il a été question des clés de réussite et des écueils à éviter, ce qui a pu permettre de rassurer et de donner des pistes aux enseignants.

Cette phase assez longue de concertation et de construction a été nécessaire et a permis de commencer dans les meilleures conditions possibles.

Le principe

-Un créneau unique par semaine

-Un groupe d’élèves

-Un collectif d’enseignants

-Des objectifs FM/Instruments/Orchestre mis en commun

-Un décloisonnement théorie/pratique

-Le jeu ensemble dès les débuts de l’apprentissage

L’inscription des élèves pour une durée de 3 ans (obligatoirement)

L’organisation

La modélisation initiale a quelque peu évolué au cours de la première année. A noter que l’organisation des séquences à l’intérieur du créneau est souple, les enseignants ont toujours le loisir d’organiser les différentes séquences comme ils le souhaitent. Cette organisation bouge d’ailleurs pendant l’année en fonction des besoins et de la dynamique du groupe et aussi des projets.

  • Admission : débutants scolarisés en CE1 ou CE2 (7 à 8 ans)
  • L’élève a un créneau fixe de 2h chaque semaine, un padlet regroupe les devoirs et autres vidéos d’accompagnement
  • Les enseignants ont une demi-heure de concertation/ préparation d’atelier juste avant l’atelier chaque semaine
  • Le répertoire travaillé est le même pour chacune des séquences

Le déploiement

La première promotion, Passacaille, vient de terminer le cycle de 3 ans, entre temps d’autres Gruppetti ont été mis en place, en respectant toujours le principe de volontariat des enseignants et en essayant de tendre vers une instrumentation plus cohérente (vents/percussion, cordes etc.) :

Chaque atelier a pu expérimenter des répertoires et des organisations différentes, des projets de restitution de diverses natures, ce qui va nous amener prochainement, et nous le verrons au dernier chapitre, à repenser la structure.

Les impacts positifs et les limites

Au niveau de l’équipe

La première année a été particulièrement complexe, car mettant les enseignants dans une situation pédagogique inédite : construire un cours à plusieurs, rechercher le consensus sur les objectifs prioritaires et le répertoire, travailler sous le regard de l’autre. En fin de première année l’équipe est polarisée, certains enseignants se retrouvent en souffrance dans ce dispositif, une médiation est proposée par un expert dans l’accompagnement au changement et finalement, l’une des professeurs quitte le dispositif en année 2 et l’autre en année 3.

Au sein de l’équipe élargie, l’expérimentation n’est pas tout de suite bien accueillie, les représentations sont diverses : atelier « occupationnel », crainte d’une perte de « niveau » instrumental des élèves, sentiment que l’emploi du temps des familles a été privilégié au détriment de la formation de l’élève.


La communication régulière (diffusion des comptes-rendus de réunion, capsules vidéo mises à disposition) a été absolument nécessaire pour une infusion en douceur, il a fallu beaucoup rassurer quant au fait que ce modèle n’avait pas vocation à remplacer le cursus dissocié, simplement à le compléter.


La transmission orale est favorisée au premier semestre, et lors de l’introduction de la lecture au second semestre, les enseignants notent des progrès plus rapides et un fort intérêt des élèves à enfin pouvoir lire et écrire des notes. Les progrès concernant la pulsation, l’écoute et la justesse sont remarquables, aucun élève n’est particulièrement en retard à l’instrument, seuls les acquis purement solfégiques sont décalés par rapport à un élève du cursus dissocié. Très peu d’élèves abandonnent à la fin de l’année.


Le point de vigilance le plus sensible est le risque de reproduire en version condensée le cursus dissocié, avec un cloisonnement des apprentissages. Pour avancer sur ce sujet, l’équipe doit maintenant poser de manière claire les référentiels, en instrument, formation musicale et orchestre, afin de tendre vers un véritable décloisonnement.


Dès la fin de la première année, des candidatures spontanées d’autres professeurs commencent à apparaitre pour intégrer les nouveaux Gruppetti. A noter cependant qu’à la faveur de départs à la retraite assez nombreux entre 2020 et 2023, nous avons pu recruter des enseignants expérimentés ou motivés par ces schémas pédagogiques, ce qui a accéléré le déploiement.

  • Au niveau des élèves et des familles

Les élèves de la première promotion ont très vite constitué un groupe classe avec son propre écosystème vertueux : présence soutenue des familles, peu d’absentéisme, bonne cohésion de groupe et esprit d’équipe. Le bilan n’a pas été toujours le même sur les autres promotions : cet esprit de groupe-classe doit être entretenu, les conditions favorisées, au risque que les élèves « consomment » une activité loisir comme une autre, avant de passer à autre chose parfois au bout d’une année seulement dans le Gruppetto. Les enseignants ont en revanche observé un manque de travail personnel de l’instrument à la maison, qui est finalement observé quel que soit le dispositif.


Les familles plébiscitent le Gruppetto, pour l’esprit de groupe notamment et le fait que le « solfège » ne fasse plus l’objet d’un cours dissocié. Là encore, la direction communique beaucoup, à l’externe et auprès des familles.


Certaines familles demandent parfois néanmoins un changement de cursus, les enseignants eux-mêmes peuvent le conseiller en cas de difficultés dans le groupe ou de comportement qui gênent la progression du groupe.

Au fur et à mesure des années, les enseignants ont accepté et intégré complétement ce nouveau dispositif, faisant aujourd’hui partie de l’ADN du conservatoire, 18 enseignants participent aux Gruppetti (sur 28 en musique) alors qu’ils ne sont plus que 4 à y être encore opposés de manière assez radicale.


Le maintien absolu de l’élève dans le Gruppetto pendant trois ans est encore un sujet non réglé, des mouvements ont lieu chaque année ce qui rend difficile la progression linéaire du groupe et sa cohésion, parfois certains élèves ont rendu le travail impossible et ont même participé au départ et à la démotivation de l’ensemble des élèves d’un instrument.


Nous allons maintenant voir quels enseignements ont été tirés de ces trois années, et comment le dispositif sera amené à évoluer.

Les évolutions

Les attentes des familles et des enseignants nous ont conduit à proposer une suite en année 4 et 5 pour la première promotion Passacaille. Deux tiers des élèves ont décidé de poursuivre dans cet apprentissage collectif, avec cette fois deux rendez-vous par semaine et l’intégration dans des pratiques collectives déjà existantes.


Un travail important est à réaliser avec l’équipe pour mettre en commun les objectifs de fin de cycle 1 et les compétences attendues des deux cursus, le global et le dissocié, afin de ne proposer qu’une seule évaluation.
Nous avons également décidé d’ouvrir la réflexion pour proposer deux rendez-vous dans la semaine : le cours d’instrument en pédagogie de groupe un jour et le tutti un autre jour, tutti auquel seraient présents un « chef d’orchestre » (l’un des professeurs d’instrument) et le professeur de formation musicale. L’objectif est de donner plus de souplesse au dispositif, d’affirmer aussi que l’apprentissage d’un instrument demande de l’investissement et du temps.

Gruppetto a été l’un des ingrédients qui a permis d’insuffler un vent de modernité au conservatoire. Si le parcours est complexe et parfois difficile pour les équipes, le bénéfice pour les élèves n’est plus à prouver. Le dispositif n’est pas figé dans sa forme, les trois années d’expérimentation ont justement permis d’affirmer les enjeux et les composantes essentielles qui permettent aujourd’hui de considérer sereinement certaines transformations.

Céline Schulz

Directrice du Conservatoire Musique et Danse Résonance de Blagnac

c.schulz@mairie-blagnac.fr

(1) : Play Music au Conservatoire à Rayonnement Communal de Toulouse

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