Le piano à quatre mains de Mozart

A l’occasion de la sortie de leur disque Mozart 4 Hands, Morgane Le Corre et Knut Jacques évoquent Mozart, son écriture pour le piano à quatre mains et particulièrement les sonates K 497 et K 521, composées à la toute fin de sa vie.

Quel rôle joue Mozart dans l’histoire du piano à quatre mains ?

MLC : Si on remonte dans l’histoire de la musique, on découvre que dès le 17e siècle, quelques virginalistes anglais par exemple pratiquaient déjà l’art du quatre mains. Johann Christian Bach a laissé aussi des duos pour clavier à quatre mains et Clementi lui-même a publié à la même époque un ensemble de sonates à quatre mains. Peut-être Mozart en prit-il connaissance… On sait par ailleurs que le jeu à quatre mains a été pratiqué par Mozart et sa sœur, quand leur père Léopold les a « exhibés » enfants à Londres, à Paris, et en Italie dans les années 1760.

KJ : Par nature, les instruments à clavier développent un discours polyphonique que l’on peut rapprocher des écritures d’ensembles (musique de chambre et orchestre). L’écriture à quatre mains est l’occasion pour les compositeurs d’aller encore plus loin dans l’exploration des ressources musicales de ces instruments. S’il n’a pas été l’ « inventeur » du jeu à quatre mains, Mozart fut le premier à en développer l’écriture d’une manière exceptionnelle pour l’époque, sur un clavier de tout juste cinq octaves. A sa suite, nombre de compositeurs ont écrit des chefs-d’œuvre pour cette formation, ou, à l’instar de Stravinsky pour le Sacre du Printemps, ont commencé un projet symphonique par une version piano à quatre mains.

Entrons dans le détail de son écriture pour quatre mains, avec sa Sonate en fa majeur K 497…

MLC : C’est une œuvre d’une richesse extraordinaire, et en même temps d’une grande concentration. Elle débute par un Adagio véritablement symphonique. Dans son ouvrage sur Mozart, Alfred Einstein a d’ailleurs souligné qu’il n’y a plus ici de subordination entre dessus et basse, ce qu’on pouvait trouver dans d’autres sonates à quatre mains. Mozart cherche avant tout à enrichir la mélodie, et à unir le style concertant et le caractère intime de la musique. Rehaussée de dissonances, l’harmonie à laquelle il a recours est très élaborée ; tout au long de la sonate, et particulièrement dans la partie allegro du premier mouvement, son écriture évoque les effets orchestraux des tutti se croisant avec de très beaux dialogues qu’on imagine être ceux des bois de l’orchestre.

KJ : Le deuxième mouvement utilise une grande variété d’unités rythmiques de la blanche à la triple croche, pour un discours évoquant tantôt un quatuor à cordes tantôt un quintette à vent. Le finale, d’une richesse exceptionnelle pour un rondo, utilise des carrures impaires assez singulières ainsi que des dissonances affirmées comme on peut en entendre dans le quatuor du même nom (K 465) ou dans les derniers concertos.

Et dans la Sonate en ut majeur K 521 ?

KJ : Dans la sonate en ut majeur, le dialogue se fait plus serré, très virtuose, dans une forme de synergie émulatrice qui s’apparente souvent à un double concerto. D’ailleurs, Mozart, qui l’aimait beaucoup, la jugeait assez difficile. Si son écriture semble transparente et pleine d’élégance, elle n’en demeure pas moins d’une grande maîtrise et d’une vraie densité de propositions thématiques très contrastées. A cet égard la structure de l’Andante en fa majeur rappelle le mouvement lent du Concerto n°20 (K 466), avec une deuxième partie agitée dans le ton relatif mineur.

MLC : Cette sonate typiquement mozartienne se déploie avec une élégance qui évoque l’art de Johann Christian Bach, le dernier fils de Johann Sebastian, que la famille Mozart avait rencontré à Londres une première fois en 1764. On sait que Mozart, qui avait facilement la dent dure pour ses contemporains, a cependant témoigné de son émotion à l’annonce de sa mort à Londres, le 1er janvier 1782. « Quelle perte pour le monde musical », écrivait-il à son père. L’influence que le « Bach de Londres » a exercée sur la personnalité musicale de Mozart est déterminante, tout comme sa contribution à l’épanouissement du pianoforte outre-Manche.

Vous jouez sur un pianoforte, copie d’un instrument contemporain de Mozart.

MLC : Il s’agit d’une magnifique copie d’un pianoforte de cinq octaves d’Anton Walter réalisée par Christopher Clarke. Anton Walter, mort à Vienne en 1826, était un des facteurs de pianos préférés de Mozart qui possédait d’ailleurs un de ses instruments. Il utilisait ce que nous connaissons aujourd’hui sous le nom de « mécanique viennoise », mise au point par Johann Andreas Stein, élève de Silbermann. Pour simplifier, cette technique donnait au piano une précision d’attaque exceptionnelle et une sonorité d’une grande clarté, ce qui fait que le jeu sur un tel instrument se révèle très délicat.

KJ : Nous partageons avec Morgane un même clavier depuis de nombreuses années, que ce soit sur instruments historiques ou contemporains. L’évolution et la diversité des factures instrumentales est pour nous une source constante d’émerveillement. Ce modèle de pianoforte mis au point par Anton Walter représente une réalisation esthétique et mécanique parfaitement aboutie. Ses spécificités, en totale cohérence avec le langage, la rhétorique classique, permettent de trouver un équilibre entre jeu parlando et cantando et de préserver une certaine légèreté au sein d’un univers sonore complexe.

Ces oeuvres sonnent d’une façon toute particulière sur ce piano ancien.

MLC : Nous avons voulu faire valoir la richesse de l’écriture de Mozart en mettant en valeur la variation des couleurs en fonction des tessitures, des registres, les basses et les aigus offrent par exemple des timbres très différents. La mécanique très légère nécessite délicatesse et maîtrise… mais nous avons également cherché à privilégier la liberté et la personnalité des instrumentistes solistes de l’orchestre ou des personnages d’opéra que nous avons imaginés.

MLC et KJ : Pour nous, la musique de Mozart, qu’elle soit expressive ou énergique, légère, âpre, élégante ou austère, révèle les attentes, les espoirs, les drames dont sa vie a été marquée. Presque tout a été exprimé ou écrit sur Mozart, sublime, incomparable, gracieux, inimitable… Nous aimons ce qu’en a dit le musicologue d’origine russe Boris de Schlœzer, pour qui l’ art de Mozart était « à la fois un aboutissement et un commencement, une conclusion et un départ vers de nouvelles et splendides découvertes ».

Morgane Le Corre et Knut Jacques

Duo Pégase – Disque Mozart Piano4Hands 

duo.pegase@gmail.com

https://www.youtube.com/watch?v=seQtnraFVQc

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