La recherche en partage pour le piano en collectif

Brève réflexion de Charles Arden, conseiller pédagogique au Pôle Sup’93, sur les liens entre interprétation, recherche et collectif. Ou comment le travail en collectif à l’instrument et le travail de recherche pédagogique peuvent s’inspirer mutuellement.

« Faire de la recherche » et « faire du piano » : ces deux formules fréquemment employées résument deux activités qui sont souvent considérées comme distinctes, voire opposées l’une à l’autre. La similitude de ces deux formules et de leurs déclinaisons (« je fais du piano », « je fais des recherches » lorsqu’elles sont exprimées par l’individu en question ; « as-tu fait ton piano aujourd’hui ? « , « avez-vous fait vos recherches sur ce morceau, ce compositeur, cette question ?  » lorsque prononcées par le professeur) a pourtant beaucoup à nous apprendre et peut nous inviter à considérer l’art et la manière de mettre en commun les pratiques et les réflexions. Le fait même que les formules désignant ces deux activités soient identiques – et liées à une action : faire – montre combien leurs différences sont perçues comme évidentes, au point que la même formulation peut être utilisée pour opposer deux réalités, et ce sur tous les plans :

  • le lieu (la recherche se ferait dans une bibliothèque tandis que la musique se ferait au conservatoire et dans une salle de concert),

  • les acteurs (renvoyant à la distinction statutaire entre enseignant-chercheur d’un côté et professeur de musique de l’autre, là encore dressant une opposition plus que problématique entre universités et conservatoires),

  • les objets (opposant le livre à la partition, la feuille au piano, la plume aux doigts),

  • leur mode d’expression (intellect contre émotion)

    Et une telle liste n’est pas exhaustive.

Ces oppositions sont bien entendu superficielles. L’enjeu est donc d’en prendre le contre-pied, afin de souligner comment et combien la réflexion – même livresque – a d’intérêt pour la pratique instrumentale et, réciproquement, combien le jeu d’interprète renforce la pertinence et la concrétisation de la lecture et de la réflexion.

Le lien avec le piano collectif s’impose alors, aussi bien sur un plan métaphorique que très concrètement. Symboliquement, le geste repoussant toute idée d’opposer théorie et pratique rejoint le geste qui lutte contre l’opposition entre piano collectif et piano solo (montrant que les compétences acquises dans l’un des domaines, loin de limiter celles de l’autre domaine, les renforcent) ; et très concrètement, renforcer le lien entre recherche et pratique est très précieux et fructueux pour le piano collectif.

Sortir d’une opposition entre théorie et pratique permet même de passer à une vision non plus binaire mais en trois dimensions concordantes : recherche, pédagogie et interprétation.

La continuité se déploie dès lors entre ces activités, entre les lieux (la recherche en bibliothèque menant vers la pratique à l’instrument : valorisant ces endroits rares et merveilleux où les livres sont aussi dans les salles de musique et les pianos dans ou à côté de médiathèques) et entre les individus (entre les élèves et le professeur qui transmet un savoir complet érudit-instrumental, mais aussi entre les élèves eux-mêmes).

De la conversation

Dès lors, et c’est tout l’objectif de cette réflexion, les musiciens réunis au piano collectif incarnent eux aussi ces liens entre connaissance et pratique indissociables de leur jeu collectif. Leur travail commun à l’instrument fonde et prolonge leur jeu ensemble au piano sur une réflexion commune, des lectures croisées, des discussions, des débats : les pianistes de ce collectif mènent ainsi une véritable « conversation » (conversation continue : celle qu’ils entretiennent en jouant prolonge savamment celle avant le jeu et celle après). Cette notion de conversation est empruntée à Goethe (dans sa lettre à Carl Friedrich Zelter du 9 novembre 1829), qui écrit au sujet du quatuor à cordes :  » man hört vier vernünftige Leute sich untereinander unterhalten  » dont les traductions offrent des alternatives apparemment très différentes mais qui concordent en fait précisément avec notre problématique réunissant dans le jeu instrumental commun la réflexion et le sens. La phrase peut en effet se traduire comme suit : on entend quatre personnes sensées ou bien sensibles, ou encore raisonnables, discuter ou bien parler entre eux ou bien les uns avec les autres.

La notion de conversation s’applique ainsi au piano collectif et au lien entre réflexion, transmission et pratique artistique. La conversation se mène entre les pianistes en se menant entre connaissance et pratique qui les réunit, qui leur donne des sujets de conversation (et de fait, la pratique devient connaissance et la connaissance pratique).

Dès lors, la pratique pianistique même individuelle prend elle aussi sa dimension collective. Même lorsqu’un seul musicien joue, tout seul, sur un seul piano, il est déjà présent comme un collectif : celui qui réunit en lui le penseur, le pédagogue et l’artiste (le tout sur un même siège, entre deux oreilles et dans deux mains). Il réunit les connaissances et les émotions qu’il propose à son auditeur, et qu’il invite même, ainsi, à venir s’asseoir au piano avec lui, pour jouer et discuter.

Les liens, les interactions, les résonances entre le travail de recherche pédagogique et la pratique instrumentale viennent ainsi enrichir la notion même de « piano collectif ». Ce faisant, la réflexion sur ce qu’est le jeu en collectif pour un tel instrument viendront enrichir la réflexion pour tous les autres instruments, ainsi que pour les pratiques et réflexions artistiques et pédagogiques.

Charles Arden

Conseiller pédagogique au Pôle Sup’ 93

conseiller.carden@polesup93.fr

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