La Biennale : expérimenter le conservatoire de demain !

Dans une société mal en point, les conservatoires (CRD, CRC) se redéfinissent plus que jamais comme outil à forte valeur ajoutée pour créer et entretenir toujours plus de lien entre politiques locales, enseignants et citoyens. Dans ce contexte, Gaëlle Pavie, professeure de piano au conservatoire de Dunkerque, nous détaille en quoi la Biennale de piano collectif redessine, autour de cet instrument, les contours du conservatoire désirable de demain.

Les leviers de modernisation des conservatoires sont bien identifiés : favoriser l’expérimentation, l’ouverture, l’interdisciplinarité, l’échange entre élèves, enseignants, administrations de nos établissements. Ces modernisations ont fait leurs preuves et les élèves nous le rendent bien par leur ouverture, leur esprit d’initiative, de coopération, les savoirs faires musicaux qu’ils acquièrent.

Un problème demeure : le manque de diversité de nos publics…

Soulevé il y a 40 ans, cette difficulté perdure : diversité sociale, culturelle, humaine, travail avec les publics « empêchés »… Ces publics n’ont à ce jour pas toute leur place.

Tel un service replié sur lui-même, notre institution reçoit du public mais n’a parfois pas encore entamé une véritable démarche pour aller vers celui-ci : établissements scolaires, maisons de quartier, EHPAD, centre sociaux et médicosociaux, écoles de la Deuxième chance. Les enseignants en milieu scolaire sont nombreux et font un travail remarquable mais ce service n’est pas généralisé et demeure – c’est là un défi majeur – tributaire des volontés politiques locales.

La Biennale trace, autour du piano collectif, les contours du Conservatoire de demain

Des solutions existent, éprouvées avec le temps : ateliers ouverts à tous dans les conservatoires et hors les murs, cours d’instruments dans les écoles et dans toute structure.

A Saint-Denis, la Biennale a été l’occasion d’un atelier participatif à destination du public de la Maison des Séniors et de jeunes en réinsertion, d’un concert participatif dans un lycée, du travail avec des scolaires

Ces échanges sont riches, valorisants, heureux. Ils sont aussi le fruit d’un travail de long terme sur le terrain, à la rencontre des structures, pour créer un partenariat durable entre tissu institutionnel et associatif local, au service d’une multiplicité des publics.

Métier : enseignant/médiateur ? enseignant en transition ?

Repenser notre enseignement

Qu’en est-il de notre fonction d’enseignant dans ce nouveau contexte ? Quel rapport entretenons-nous avec ses questions et quels sont les leviers en notre possession ?

Comme préalable : nous approprier la question sociétale.

Le débat sur la fracture sociale est d’actualité et notre fonction publique doit y répondre : récréer du lien, c’est recréer des lieux et des moments d’échanges, avec comme fil conducteur le bien-vivre ensemble, la société heureuse. Au besoin commun de la société répond la pratique artistique musicale, et pianistique en particulier, je l’évoquerai ci-après.

Nous approprier des savoirs-faires

Adapter et repenser notre travail, individuellement et collectivement constitue un autre volet de cette transition. Individuellement, en repensant nos outils pédagogiques (oralité (1), jeux d’improvisation en collectif, adaptation de nos outils et de notre langage aux publics, compréhension et appropriation de ce rôle social), collectivement, en articulant notre travail avec celui de nos pairs.

Dans les établissements qui rassemblent plusieurs enseignants de piano, les départements sont davantage la juxtaposition d’individualités que la somme de celles-ci – avec les valeurs ajoutées de telles pratiques. Or, ce travail en commun constitue un atout majeur : multiplicité des points de vue, échange, argumentation, coopération, constituent les compétences psychosociales – soft skills ou compétences douces – tant valorisées aujourd’hui (2). Nous avons tous à y gagner : travail en commun au quotidien, cours multi-enseignants, élèves tournant d’un enseignant à l’autre.

Travailler sur ces axes de réflexion que sont la remise en question pédagogique et la coopération entre pairs est donc primordial tant ils sont évidents et fonctionnent, d’autant plus dans les départements mono-instrumentaux comme le piano ou la guitare.

Le département piano du conservatoire de Saint-Denis illustre parfaitement ces propos (cf La classe unique, Chronique d’un cours global de piano, Fabien Cailleteau, Ed. Aedam Musicae)

(1) : L’oralité a rarement une vraie place dans la pratique du piano en 1er Cycle dans les conservatoires. Penser que cet apprentissage puisse être une fin en soi, et non une solution transitoire «en attente de » paraît fondamental.

(2) : Les grands principes de l’apprentissage coopératif sont : entraide, égalité, engagement et énergie. Pour une pédagogie de la coopération ! : https://www.profinnovant.com/pedagogie-cooperative/

Redéfinir nos fonctions d’enseignant/médiateur

A l’heure ou la fonction de médiation est fortement valorisée (médiateurs culturels, médiateur de la République, médiateur familial, etc.), il semblerait qu’associer cette fonction à celle d’enseignant soit, dès lors, évidente.

Pour rappel sémantique, le Larousse donne la définition suivante :

Médiateur : qui sert d’intermédiaire, d’arbitre, de conciliateur

L’enseignant est l’intermédiaire entre élève et musique, autrement dit le médiateur, et ses savoirs-faires techniques et pédagogiques sont autant d’éléments constitutifs d’une boîte à outils déjà bien pleine. Loin de remettre en cause les fonctions d’enseignants spécialistes, celles-ci viennent s’ajouter et élargir le champ de compétences, non en parallèle mais en symbiose.

Plaidoyer pour une pratique du piano partout et pour tous !

Le piano aurait-il un rôle singulier à jouer dans cette volonté de diffusion plus large d’une pratique artistique ? Longtemps considéré comme l’instrument bourgeois réservé à l’élite, il est accessible aujourd’hui à tous par la profusion d’instruments acoustiques et numériques pour tous les budgets (marché de l’occasion florissant). Facile à pratiquer en amateur, seul et/ou en collectif, il permet de développer la coordination des mains et les compétences motrices, sensorielles, kinesthésiques.

Et on y joue dans tous les styles, ou presque !

Je souhaiterais terminer ces quelques lignes par un propos volontairement tranchant, non que celui-ci ne l’ait pas été auparavant, mais pour témoigner de l’urgence d’un changement de pratique dans nos institutions.

L’engouement pour les pratiques artistiques n’est pas nouveau, se réinvente chaque jour, en témoigne l’explosion des tutoriels musicaux en ligne. Cette pratique trouve aujourd’hui un écho différent face aux enjeux qui se présentent à nous : fracture de la société, guerre, instabilités politiques, bouleversements climatiques. Faire évoluer nos structures d’enseignement artistique vers des structures plus justes, plus égalitaires, qui accueillent et vont vers tous les publics est indispensable. Enseignants de piano avons notre rôle à jouer, merci à la Biennale !

Gaëlle Pavie

Professeure de piano
au conservatoire de Dunkerque
gaelle.pavie@netcourrier.com

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