L’“Éducation Nouvelle” n’est à ce point plus si nouvelle qu’elle ne date pas seulement du siècle dernier, mais du siècle d’avant (le XIXe). De surcroît, ce mouvement/cette praxis menant à la gnosis-connaissance (et non l’inverse) s’inspire aussi de pratiques qui existaient dès l’Antiquité, comme elles furent remises au goût du jour par les Humanistes en leur temps, comme elles avaient su perdurer en partie, jusqu’alors et par la suite… Mais ces pratiques pédagogiques avaient certes été, pour beaucoup et par trop oubliées ou délaissées au point de (re)paraître alors entièrement nouvelles. Cela étant, la simple action (pas si simple en soi) de remettre au jour ces méthodes, et plus encore de les remettre au goût du jour, en lien avec la société contemporaine, était en soi force d’innovation tant le contexte aura changé entre-temps (or, le principe même de ces pédagogies étant de repartir de l’apprenant et du contexte de son apprentissage, cet aggiornamento était en soi et a priori une force d’innovation, même si les principes, axiomes et volontés n’en étaient pas fondamentalement inédits).
Force est ainsi de constater qu’elles parurent nouvelles car elles proposaient de nouvelles manières de faire dans un contexte nouveau et avec un tout autre rayonnement : porté par l’ambition d’un véritable universalisme, d’une formation complète et globale, par toutes et tous, pour chacune et chacune, partout, tout le temps, en tout lieu et sur tous les sujets. De quoi comprendre qu’une telle philosophie-pratique de la pédagogie parut alors nouvelle, et même qu’elle n’a toujours pas perdu de son aura de nouveauté, ou au moins d’innovation (tant elle continue d’inspirer de nouvelles pratiques pédagogiques, encore et toujours, et tant elle continue d’amener apprenants et enseignants à questionner leurs pratiques, à nouveau).
Bien des termes, des concepts et des pratiques se sont rattachés (ou ont été rattachés) à cette nouvelle approche, en associant souvent un nom commun avec un adjectif, l’un et l’autre pouvant être puisés au choix (d’une manière plus ou moins aléatoire et arbitraire, équivalente et interchangeable) parmi une double liste : éducation, pédagogie, école, méthode,… d’un côté, qui peuvent s’associer avec de l’autre avec nouvelle, active, projet… pour former : pédagogie nouvelle, pédagogie active, pédagogie par projets, méthodes nouvelles, actives, de projets, etc…
Car l’enjeu de cette nouveauté est de réunir éducation et pédagogie, en cohérence avec le fonctionnement d’une école et de méthodes qui rendent l’apprenant acteur de son apprentissage, au service de son projet (en s’appropriant pleinement cet objectif, il cherche et trouve les moyens de l’accomplir et de s’accomplir, guidé par l’enseignant) : un projet permettant aussi bien d’apprendre à compter qu’à s’épanouir dans la société.
La “nouveauté” consiste en effet à recentrer l’enseignement sur l’élève afin qu’il devienne acteur de son apprentissage au sein d’un groupe, dans lequel, duquel et par lequel il apprend à mener un projet : en voyant l’autre faire, en lui montrant, en faisant ensemble.
La pédagogie/éducation nouvelle est ainsi plurielle et même “plurielles” car elle allie plusieurs pluralités : plusieurs individus, plusieurs apprentissages. L’enfant acquiert toujours des connaissances liées à d’autres disciplines (compter pour dénombrer pour construire, lire pour exprimer pour jouer,… ce qui n’empêche pas chaque apprentissage d’être une finalité aussi en soi, d’être accompli et un accomplissement, bien au contraire) et en lien avec d’autres individus. Tout cela a également, justement et notablement inspiré et enrichi l’apprentissage de la musique (où le jeu ensemble est une dimension fondamentale de l’apprentissage et des objectifs).
La pédagogie nouvelle et active a donné lieu à des méthodes nouvelles et actives dans le champ de la pratique et de l’apprentissage musical (celles développées par Émile Jaques-Dalcroze, Edgar Willems, Carl Orff, Maurice Martenot, Zoltán Kodály, etc.), et elle permet de penser et de créer de “nouvelles” modalités d’enseignement. Là encore, cette nouveauté est bien ancrée et bien ancienne désormais dans bien des lieux d’enseignement de la musique, mais même là, elle continue de s’épanouir, de se développer, de se réinventer…
Toute cette réinvention “nouvelle” s’appuie en effet, justement, sur un apprentissage qui relie les différentes “disciplines” au service d’un travail s’appuyant sur le sensoriel, la créativité aussi bien que la réflexion (d’où l’intérêt de travailler la formation musicale tout en jouant, idem pour la culture musicale, pour le travail du corps, du chant,…). Cette réinvention se fait par un apprentissage où les différentes disciplines sont toutes étudiées de manière approfondie mais dans leurs liens les unes avec les autres (exactement d’ailleurs dans la même dynamique qui permet à chaque individu de s’épanouir dans le cadre du groupe).
L’éducation, la pédagogie, l’école, les méthodes peuvent, nous l’avons dit et vu, souvent, être employées de manières interchangeables, au service interchangeable de leurs dimensions nouvelles, actives, de projets. Si elles semblent interchangeables c’est parce qu’elles agissent dans une même direction, celle qui consiste à rendre à chaque individu, chaque discipline et même chacune de ces dimensions, sa part active. Réunir et activer ensemble dans un même but permet paradoxalement de différencier et de renforcer individuellement. La méthode sera d’autant plus riche et nouvelle si elle s’intègre dans le fonctionnement d’une école, contribue à une pédagogie active comme l’éducation qu’elle prône, etc. De même, le collectif sera d’autant plus fort, comme nous le verrons, qu’il mène vers un groupe (et le groupe d’autant plus actif qu’il s’appuie sur la richesse d’un collectif, nourri de et par ses individus).
Les termes sont ainsi reliés, car ils sont complémentaires dans une même dynamique et une même ambition (nouvelle, active, collective, de groupe, par projets)… ils n’en perdent pas pour autant leur identité, leur richesse, leur unicité qui leur permet justement d’enrichir les autres et le tout.
Le Trésor de la langue française informatisé définit le collectif ainsi : “Qui concerne un ensemble limité, mais d’une certaine étendue, caractérisé par des traits communs ou considérés comme tels. Antonyme individuel.”Le même Trésor de la langue française informatisé définit le groupe comme un ensemble “formant un tout” ; un “Ensemble de personnes ou de choses ayant des caractéristiques communes” ; un “Ensemble de personnes ayant des traits, des buts, des intérêts communs.”
Les deux termes/concepts (collectif et groupe) partagent ainsi bien des points communs, à commencer par le fait de constituer un “ensemble” (terme particulièrement appréciable dans le monde de la musique, et qui a en outre la qualité d’être à la fois un état de fait et une dynamique : un ensemble procède d’une volonté d’être ensemble, ce qui donne bien des pistes et des dynamiques de travail pour la pédagogie musicale). Le collectif et le groupe partagent aussi le fait d’avoir des traits communs. Le collectif se distingue toutefois (dans cette définition en tous les cas) par la plasticité de sa taille et par le fait que ces traits communs peuvent être avérés ou bien “considérés comme tels”.
Le professeur va ainsi former, constituer, composer (idéalement, ou bien il va se retrouver confronté à) un collectif, qui va (devoir) devenir un groupe. Le groupe voit ses traits communs s’appuyer sur des caractéristiques communes, avoir des intérêts communs et des buts communs.
C’est ainsi que la nouvelle édition (en 2017) du livre d’Arlette Biget, La Pédagogie de groupe dans l’enseignement instrumental voit sa quatrième de couverture prôner justement le “vivre ensemble” aussi bien dans les paramètres du son, que leur apprentissage “dans l’effort collectif”.
Le collectif mène ainsi au groupe par un projet commun (actif et nouveau), il donne davantage, à tous les niveaux, donnant plus de temps et de motivation donc d’ambition (comme en témoigne éloquemment Arlette Biget à travers son ouvrage et son parcours actif) :
- à l’apprenant et à l’enseignant ;
- à l’individu et au collectif comme au groupe ;
- à la différenciation et à la communauté ;
- à la richesse, à la diversité, aux points communs ;
- au partage, à la proposition et à l’expérimentation, à la découverte et à la méthode ;
- à la sensation et à l’intellectualisation ;
- à la découverture, à la reconnaissance et à l’acculturation ;
- aux différentes disciplines et à la spécialisation ;
- à l’écoute et à l’autonomie, au jeu et à l’apprentissage et à l’improvisation ;
- à l’expression individuelle et collective, artistique et culturelle, instructive et éducative…
Là encore et toujours, le collectif forme un groupe ayant un projet… qui consiste à œuvrer pour l’intérêt du groupe en renforçant le collectif.
La boucle des apprentissages se boucle tout en s’ouvrant : toujours nouvelle, stimulante et reconnaissable. À l’image de cette Éducation.
Charles Arden
Conseiller pédagogique Pôle Sup’93